En attendant, comme pour tous les autres, celui-ci est ce qu'il est d'abord pour lui-même; c'est, dans l'essence des choses, inévitable, immodifiable. Ce qu'au contraire il est pour d'autres demeure, comme un point secondaire, soumis au hasard. Ils ne peuvent, en tout cas, recevoir de son génie plus qu'un reflet, moyennant une tentative réciproque pour penser ses idées avec leurs cerveaux, dans lesquels subsisteront néanmoins toujours des plantes exotiques, naturellement étiolées et chétives.
Pour avoir des idées originales, extraordinaires, peut-être même immortelles, il suffit de s'isoler si absolument du monde et des choses pendant quelques instants, que les objets et les événements les plus ordinaires vous paraissent complètement nouveaux et inconnus, et révèlent ainsi leur véritable essence. Cette exigence n'est pas difficile à remplir; mais son accomplissement n'est nullement en notre pouvoir, et elle est précisément la marque du génie.
Le génie est parmi les autres têtes ce que l'escarboucle est parmi les pierres précieuses : elle rayonne de sa propre lumière, tandis que les autres ne reflètent qu'une lumière d'emprunt. - On peut dire aussi que le génie est par rapport à ces têtes ce que les corps idioélectriques sont par rapport aux simples conducteurs de l'électricité. Il ne s'applique donc pas au savant ordinaire, qui ne fait qu'enseigner ce qu'il a appris, de même que les corps idioélectriques ne sont pas conducteurs. Il est, à la simple science, si l'on veut, ce que le texte est aux notes. Un savant est celui qui a beaucoup appris; ; un génie, celui qui apprend à l'humanité ce qu'il n'a appris de personne. - En conséquence, les grands esprits- dont un seul à peine éclot parmi des centaines de millions d'êtres humains- sont les phares de l'humanité, faute desquels celle-ci se perdrait dans la mer sans bornes des plus effroyables erreurs et de l'abrutissement.