J’étais si sûr d’avoir arraché une proie au Démon de la Sottise, une proie d’autant plus précieuse qu’elle semblait, à l’avance, dévolue, par son extraction, à ce Captateur de la multitude. Némorin Thierry avait été récolté d’une basse branche de ce néflier de la Bourgeoisie dont les fruits pourrissent aussitôt qu’ils touchent le sol. Il tenait, par conséquent, de ses auteurs, un esprit béant aux idées médiocres et rétractile à toute impression d’ordre supérieur. Pédagogie plus que difficile, tour de force continuel. Il fallait, d’une main, boucher l’entonnoir et, de l’autre, lubrifier les petits conduits, sarcler le terroir et greffer le sauvageon, écheniller et provigner tout à la fois. Il était indispensable de tirer ce pauvre être de lui-même, de le tamiser, de le filtrer, de l’inaugurer enfin, de lui conditionner, en quelque manière, un petit fantôme plus vivant qui lui soutirât peu à peu son identité. Les résultats furent tels, en apparence, que je suis excusable d’avoir pu me considérer moi-même comme un thaumaturge, au point d’oublier la loi formelle de régression à leur type rudimentaire, des bêtes ou des végétaux dont on interrompt la culture. J’eus le malheur de ne pas entendre les rappels incessants du gratte-cul primordial et indéfectible. Je crus, en un mot, que ce pauvre Némorin pouvait marcher seul et l’ayant étayé vingt ans, je commis l’imprudence irréparable de le déposer sur le sol. |