Voilà des mois qu'il n'avait plus vu les autres. Les autres ! Ils étaient si nombreux dans sa jeunesse, et maintenant...Pourchassés, abattus...Comme il ne les croisait nulle part, sa mémoire en avait fait des êtres fabuleux. Peut- être était- il le tout dernier de cette lignée; chaque jour qui passait transformait un peu plus ses présomptions en convictions. Parfois, des traces dans la forêt lui avaient redonné espoir mais il devait s'agir des siennes, qu'il avait laissées là, la veille, en un endroit qu'il ne reconnaissait pas. Tout se ressemblait dans la forêt, et sa vue avait bien baissé, parce qu'il se nourrissait mal, et le froid s'accentuait : on allait doucement vers janvier. Sa conscience portait le fardeau de centaines de générations et parfois, il lui semblait que tous les autres, par milliers, l'observaient depuis les buissons ou du haut des collines, en lui disant : "Fais quelque chose, il est peut- être temps encore. Fais quelque chose en notre nom, pour qu'on ne nous oublie pas, pour que tout ça ait servi un tant soit peu, trouve une idée, toi seul, encore..." |