L'amour lui-même n'y apporte aucune note lumineuse, ne tenant lui-même que dans les jours de la semaine qui restent éternellement des lundis, des jeudis, des dimanches, que dans les heures de la journée, soumis à des retards de pendules, à des repas, à des affaires comme le reste. La poésie, l'angoisse, les regrets infinis de ce que l'on avait cru un rêve exaucé ne sortent pas de l'âme, du cerveau, et n'entrent en rien dans le domaine visible de la vie. Voilà pourquoi les aventures et les passions des autres nous paraissent toujours si inexistantes, si peu originales et si ridicules, souvent. Nous n'en voyons que l'externe, le corps, le costume, la mimique, tandis que le patient souffre du domaine enchanté de la vie et que, malgré son récit, il ne nous transmet que bien rarement la clef du songe, ayant créé de sa substance la plus identique, de ses pensées les plus secrètes, l'aventure dont il souffre comme d'un rêve incarné et douloureux. Nous sommes impénétrables les uns aux autres, par le fait même que nous ne nous intéressons profondément qu'à nous seuls, et que nous ne cherchons dans l'amour que l'intérêt, l'étonnement, l'admiration d'un autre, un spectateur intime dans les yeux duquel nous nous imaginons reconnaître nos défauts et nos goûts. Cette fraternité seule nous unit ! Toute indépendance du partenaire nous semble une injure, une impolitesse, et nous déçoit.
Nous lui en voulons d'oser être lui-même tel que sa mère le fit et l'éleva, tel qu'il est et se cherche en nous, prêt à nous haïr s'il ne se retrouve pas.