Il ne fit aucun signe pour que Saad arrêtât sa voiture. La silhouette calme et patiente s'ennuyait peut-être au bord du chemin, contre un arbre où le printemps commençait à poindre en dards d'un vert encore indécis. Saad arrêta sa voiture en face de l'arbre et vit la grande valise noire, vit que la personne qui lui souriait avait une tête de femme, jeune, d'une extraordinaire beauté, un chandail rouge qui couvrait une poitrine sans le moindre soupçon de sein; un torse lisse de garçon; des pantalons noirs qui ne laissaient pas deviner la bosse du sexe. Homme, femme, éphèbe, hermaphrodite, Saad le voulut tout de suite, violemment, en haletant. Il devait monter dans sa voiture, Saad paniqué voulait cela, et il se mit à croire qu'il l'avait attendu depuis sa première jeunesse et en vint presque à imaginer qu'il aurait jusqu'à son dernier jour besoin de la présence ou de la proximité de cette créature à la coupe de cheveux masculine et et au visage sans maquillage. En montant, elle dit" merci" et Saad pensa que la voix n'avait rien révélé. C'était celle de quelqu'un qui avait dû beaucoup boire et fumer la nuit précédente, homme ou femme. "Où veux-tu aller ? " demanda Saad pour pouvoir tourner la tête et observer les joues du passager : pas de trace de barbe mais une poitrine toujours aussi plate et hostile. "Je vous avertis, un peu loin. Toujours tout droit. Quels étaient vos projets ?" Pas de pomme d'Adam non plus sur sur cou blanc. Saad pensa: "Mes projets ?"Exactement comme s'il était décidé de modifier le voyage prévu. Et comme s'il pouvait le faire, comme s'il voulait le faire, comme si elle était sûre, d'imposer en douceur les siens. La grande valise noire appuyée au siège arrière invitait au changement, proposait un arrachement délicieux. Et à l'intérieur il y avait la clé de son sexe, à supposer qu'il en eût un. Car rien ne rappelait chez elle la féminité frelatée d'un inverti, ou la virilité sourde d'une lesbienne. Que n'était-il possible de fouiller sa valise ! "Pour ma part, je n'ai pas de projets précis. J'ai un mois de vacances et, si Dieu me l'accorde, je ne veux rien faire qui me déplaise. Je pensais m'arrêter à Saint- Sébastien pour déjeuner. Puis continuer jusqu'à Pau où j'ai loué une petite maison mais je ne sais pas si je vais la trouver. Si tu veux, tu peux venir déjeuner avec moi, puis nos nous perdrons dans notre quête parmi les pins immenses. Tout ce que je sais, c'est qu'elle s'appelle "Pourquoi pas" et qu'elle se trouve près de l'Auberge du Sanglier. Pas de réponse, il s'enfonça dans son siège, le visage à nouveau éclairé d'un sourire et appuya sa nuque contre le dossier comme quelqu'un qui s'apprête à partir pour un long voyage. Au bout de quelques jours, le désir de Saad se fit intense et il connut des moments de silence et de douleur muette en sa chère et paisible présence. Car cette créature adorée lui offrait - ou suggérait à peine- son double visage, ses deux corps, et très vite l'homme éprouva la nécessité angoissante de s'approcher et de serrer, indifférent dans ses étreintes rêvées que ce fût un corps de femme ou d'homme. Pourtant il voulait savoir. Et quand elle descendit avec son panier à provisions le petit chemin sinueux, tracé dans les grands espaces de gazon vert par l'insistance de tant de pas perdus, il entrait comme un voleur dans la chambre à coucher du monstre convoité et examinait son lit, les deux tables et les petits flacons de médicaments. Ce qui ne lui servait à rien, le secret n'étant pas révélé. Et toujours sous le lit, fermée à clef, la grande valise noire. Et quand il prenait le soleil en short et torse nu, elle se blottissait, pantalons noirs et chandail rouge, à l'ombre sous l'auvent de la petite maison ou sous les grands arbres pour sourire en paix à la beauté des constructions blanches éparpillées sur les douces petites collines. Il nourrit l'espoir absurde, auquel il crut un temps, qu'il ferait taire ses doutes en entrant dans la salle de bains au moment où elle aurait fini de se doucher. Mais en flairant, il ne rencontra que le parfum du savon de pin qu'elle avait fait mousser sur son corps, sur sa poitrine, entre ses jambes, où le mystère se tenait en éveil, toujours seul, et inaccessible pour lui. Jusqu'au moment où, presque d'un jour à l'autre, Saad commença à accepter. A désirer, plus que sa possession physique, la permanence du doute et du secret. Et à présent, jaloux, il la surveillait, craignant d'une imprudence, d'une phrase, la révélation de la vérité, dont il jouissait désormais de l'ignorance tout en continuant à souffrir. Il voyait cet être grimper le long du sentier, agile et rapide, le corps un peu incliné sous le poids du panier. Il frissonna, se sentit vieux, et entra dans la petite maison en pensant à ce qu'il avait dû acheter pour le repas du soir. |
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La señora estaba siempre vestida de negro y arrastraba sonriente el reumatismo del dormitorio a la sala. Otras habitaciones no había; pero sí una ventana que daba a un pequeño jardín pardusco. Miró el reloj que le colgaba del pecho y pensó que faltaba más de una hora para que llegaran los niños. No eran suyos. A veces dos, a veces tres que llegaban desde las casas en ruinas, más allá de la placita, atravesando el puente de madera sobre la zanja seca ahora, enfurecida de agua en los temporales de invierno.
Aunque los niños empezaran a ir a la escuela, siempre lograban escapar de sus casas o de las aulas a la hora de pereza y calma de la siesta. Todos, los dos o tres; eran sucios, hambrientos y físicamente muy distintos. Pero la anciana siempre lograba reconocer en ellos algún rasgo del nieto perdido; a veces a Juan le correspondían los ojos o la franqueza de ojos y sonrisa; otras, ella los descubría en Emilio o Guido. Pero no transcurría ninguna tarde sin haber reproducido algún gesto, algún ademán del nieto. Pasó sin prisa a la cocina para preparar los tres tazones de café con leche y los panqueques que envolvían el dulce de membrillo. Aquella tarde los chicos no hicieron sonar la campanilla de la verja sino que golpearon con los nudillos el cristal de la puerta de entrada. La anciana demoró en oírlos pero los golpes continuaron insistentes y sin aumentar su fuerza. Por fin, porque había pasado a la sala para acomodar la mesa, la anciana percibió el ruido y divisó las tres siluetas que habían trepado los escalones. Sentados alrededor de la mesa, con los carrillos hinchados por la dulzura de la golosina, los niños repitieron las habituales tonterías, se acusaron entre ellos de fracasos y traiciones. La anciana no los comprendía pero los miraba comer con una sonrisa inmóvil; pero aquella tarde, después de observar mucho para no equivocarse, decidió que Emilio le estaba recordando al nieto mucho más que los otros dos. Sobre todo con el movimiento de las manos. Mientras lavaba la loza en la cocina oyó el coro de risas, las apagadas voces del secreteo y luego el silencio. Alguno caminó furtivo y ella no pudo oír el ruido sordo del hierro en la cabeza. Ya no oyó nada más, bamboleó el cuerpo y luego quedó quieta en el suelo de la cocina. Revolvieron en todos los muebles del dormitorio, buscaron debajo del colchón. Se repartieron billetes y monedas y Juan le propuso a Emilio: -Dale otro golpe. Por las dudas. Caminaron despacio bajo el sol y al llegar al tablón de la zanja cada uno regresó separado, al barrio miserable. Cada uno a su choza y Guido, cuando estuvo en la suya, vacía como siempre en la tarde, levantó ropas, chatarra, desperdicios del cajón que tenía junto al catre y extrajo la alcancía blanca y manchada para guardar su dinero; una alcancía de yeso en forma de cerdito con una ranura en el lomo. |
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