Ils avaient imaginé de réaliser à quatre l'association mystérieuse des Treize rêvée par Balzac. Rêve païen, s'il en fut jamais. Eadem velle, eadem nolle, disait Salluste qui fut une des plus atroces canailles de l'antiquité.
N'avoir qu'une seule âme et qu'un seul cerveau répartis sous quatre épidermes, c'est-à-dire, en fin de compte, renoncer à sa personnalité, devenir nombre, quantité, paquet, fractions d'un être collectif. Quelle géniale conception !
Mais le vin de Balzac, trop capiteux pour ces pauvres têtes, les ayant intoxiquées, cet état leur parut divin, et ils se lièrent par serment.
Vous avez bien lu ? Par serment. Sur quel évangile, sur quel autel, sur quelles reliques ?Il ne me l'ont pas dit, malheureusement, car j'eusse été bien curieux de le savoir. Tout ce que j'ai pu découvrir ou conjecturer, c'est que, par formules exécratoires, et le témoignage de tous les abîmes étant invoqué, ils se vouèrent à cette absurde esistence de ne jamais avoir une pensée qui ne fût la pensée de leur groupe, de n'aimer ou détester rien qui ne fût aimé ou détesté en commun, de ne jamais observer le moindre secret, de se lire toutes leurs lettres et de vivre ensemble à perpétuité, sans se séparer un seul jour.
Naturellement, Théophraste avait dû être l'instigateur de cet acte solennel. Les autres n'auraient pas été si loin.
Employés tous les quatre dans le bureau d'un ministère, il leur fut possible de réaliser l'essentielle partie du programme. Ils eurent le même gîte, la même table, les mêmes vêtements, les mêmes créanciers, les mêmes promenades, les mêmes lectures, la même défiance ou la même horreur de tout ce qui n'était pas leur quadrille et se trompèrent de la même façon sur les hommes et sur les choses.
Afin d'être tout à fait entre eux, ils lâchèrent malproprement leurs anciens amis et leurs bienfaiteurs, parmi lesquels un fort grand artiste qu'ils avaient eu la chance incroyable d'intéresser un instant et qui avait essayé de les prémunir contre la tendance de marcher comme des pourceaux...
Des années s'écoulèrent de la sorte, les meilleures années de la vie, car l'aîné Théophraste avait à peine trente ans quand l'association commença. Ils devinrent presque célèbres. Le ridicule naissait tellement sous leurs pas, qu'ils durent plusieurs fois changer de quartier.
Les bonnes gens s'attendrissaient à voir passer ces quatre hommes tristes, ces esclaves enchaînés de la Sottise, vêtus de la même manière et marchant du même pas, qui avaient l'air de porter leurs âmes en terre et que surveillaient attentivement les sergots pleins de soupçons.
Cela devait naturellement finir par un drame. Un jour, le combustible Théodore devint amoureux....