Je l'appelle tout simplement le Livre, sans autres précisions ni épithètes, et il y a dans cette retenue un soupir d'impuissance, une silencieuse capitulation devant l'immensité du transcendant, car aucun mot, aucune allusion ne sauraient briller, embaumer, vibrer de ce frisson d'effroi, de ce pressentiment de la chose sans nom dont le seul avant-goût sur le bout de la langue dépasse les limites de l'émerveillement. A quoi bon des adjectifs pathétiques et des épithètes grandiloquentes face à l'incommensurable, à la splendeur indicible ? D'ailleurs le lecteur, le vrai, celui à qui s'adresse ce récit, comprendra de toute façon quand je le regarderai dans le blanc des yeux, avec une certaine lueur au fond de mes prunelles. Dans ce regard fort et bref, dans un serrement fortuit de la main, il saisira, reconnaîtra - et il baissera les paupières, émerveillé par la profondeur de sa compréhension. Sous la table qui nous sépare, ne nous tenons-nous pas tous secrètement par la main ? |