Maintenant je suis sur le dos et il y a donc ce silence. Une heure sonne, qu'importe l'heure ? Des nuages passent au ciel avec leur grand glissement doux,mais que m'importent les nuages ? J'entends vivre au loin, et peut-être qu'il y a quelqu'un qui passe et un visage se montre à une fenêtre là-bas; je me répète en moi-même : "Qu'importe puisque je suis mort et il est si bon d'être mort." Non, plus rien en avant de moi. De la nuit, peut-être, l'ombre et le volume du vide, mais c'est comme une borne là; et, en arrière, rien non plus. Les formes en arrière, elles aussi, ont disparu : il y a eu le nuage abaissé, il y a eu aussi la nuit descendue. Il ne m'en vient aucun regret. Et je demeure ainsi; et puis, comme on a vu, quelque chose remue. Mais ce ne sont d'abord que de vagues pensées, il faut un effort pour les joindre ensemble; une fois réunies et quand elles ont pris un sens, c'est l'esprit qu'elles intéressent, elles n'ont point encore intéressé le coeur. Il faut que le mouvement vienne du dehors. Il faut que ce soit comme un vent qui souffle, il faut que je sois soulevé. Et moi je n'y suis pour rien, et je n'en ai même point conscience, et je ne l'aide même pas, ce vent; mais comme la chemise qui pend à un cordeau, et donc un souffle vient, la gonflant d'en dessous et lui redonnant brusquement sa forme, ainsi, soudainement, je suis remis debout. J'interroge le vent, il ne me répond pas. Je dis : " Que me veux-tu ?" je ne peux pas comprendre, mais voilà que la force qui était en lui est en moi: autant mon abattement était grand, autant un sourd élan à cette heure m'emporte; je me retrouve, mais augmenté. Et je ne me reconnais pas d'abord, à cause de cette augmentation et de m'être dépassé moi-même; puis la conscience vient : "Tu étais mort, tu as ressuscité." Et le sens de tout m'apparaît. Ce qui m'avait fait peur m'encourage à moi-même. Ce qui avait été une cause d'accablement est maintenant une cause de force; j'appelle ce que j'avais fui; je languis après les obstacles, et il n'y en a plus parce que je les ai surmontés, mais j'en réclame de nouveaux; je veux que mon fardeau soit encore plus lourd; je dis: "Voyez, je ne plie pas dessous; il fortifie mes reins, il m'endurcit à la fatigue. Vous croyiez m'avoir abattu, voyez comme je me redresse; vous croyiez m'avoir tout ôté, vous me retrouvez enrichi; vous m'aviez dépouillé de moi-même, c'est un nouveau moi-même et un meilleur moi-même qui se relève d'à vos pieds; plus vous ne me priverez et plus je serai riche; plus vous m'aurez diminué, plus je me sentirai grandi." Il me semble que je parle ainsi en me redressant et il y a autour de moi comme une foule qui s'écarte. Je m'avance, il me semble que je suis sur une colline et le monde entier m'est offert. Tout m'accueille, parce que j'accueille tout. Une communication se fait qui est si grande que tout paraît tiré de rien, et tout est recréé comme du vide même, et la fleur en même temps s'ouvre que le nuage est déployé. Soudainement l'arbre, menu encore et confondu avec l'air d'alentour par les vides de son branchage, devient dense et compact et reprend son volume; oh! lui aussi, il a souffert de l'hiver. Mais il remonte en même temps que moi; je suis sa sève, je suis ses feuilles, j'ai sa forme et sa densité. Alors opposez-moi comme à lui les gelées, opposez-moi les pluies, les changements de temps, les incertitudes du ciel; oh! regardez quelle beauté prennent ses feuilles rebroussées et comme éclate aux yeux cette double couleur. Opposez-moi tout, tout m'accroît et tout m'est comme à ce gazon. Ils écraseront ce gazon sous leurs lourdes dames, mais ils savent bien pourquoi ils l'écrasent; c'est pour qu'il s'épaississe et qu'il renforce ses racines d'où il tirera un vert lus profond. Comme lui, j'assume l'automne et comme lui j'applaudis à la mauvaise saison, car quelle impulsion quand le printemps revient et quelle vie multipliée ! |
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