-Hommes!...murmura Nacanina.
-Quelles nouvelles nous ramènes-tu ? demanda Terrifique
-Vont-ils attaquer? Peut-on ne pas tenir compte des Hommes ?
-C'est peut-être ce qu'on aurait de mieux à faire...Et passer de l'autre côté du fleuve, répondit Nacanina.
-Quoi...Comment...firent-elles en bondissant. Tu es devenue folle ?
-Ecoutez, d'abord.
-Alors, raconte!
Et Nacanina raconta tout ce qu'elle avait vu et entendu l'installation de l'Institut de Sérothérapie, les projets des hommes, leurs buts et leur détermination à faire la chasse à tous les serpents venimeux du pays.
-Nous faire la chasse ! hoquetèrent Urutu Doré, Croisée et Lancéolée, blessées au plus vif de leur orgueil. Tu veux dire nous tuer!
-Non, vous chasser et rien d'autre ! Vous enfermer, bien vous nourrir et vous extraire votre venin tous les vingt jours. Quelle vie plus douce peut-on rêver !
L'assemblée fut stupéfaite. Nacanina avait très bien expliqué la finalité de cette récolte de venin, mais ce qu'elle avait omis d'exposer, c'était la méthode utilisée pour obtenir le sérum.
Un sérum anti-venimeux ! Cela voulait dire la guérison assurée, l'immunisation des animaux et des hommes contre la morsure; toute la Famille condamnée à mourir de faim au coeur même de sa forêt natale.
-Exactement, appuya Nacanina. C'est exactement de cela dont il s'agit.
Pour la Nacanina le danger était bien moindre. Que leur importait, à elle et à ses sœurs les chasseuses - à elles qui chassaient à dent nue avec la seule force de leurs muscles - que les animaux fussent ou non immunisés. Elle ne voyait qu'un ennui, c'était l'excessive ressemblance des couleuvres et des venimeux qui favorisait de mortelles confusions. D'où l'intérêt que prenait la couleuvre à la disparition de l'Institut.
-Je suis volontaire pour ouvrir la campagne, dit Croisée.
-Tu as un plan ? demanda Terrifique anxieuse et toujours à cours d'idées.
-Aucun. J'irai simplement là-bas demain après-midi et je me frotterai au premier venu.
-Prends garde à toi ! lui dit Nacanina d'une voix persuasive. Il y a plusieurs cages vides....Ah, j'oubliais ! ajouta-t-elle en s'adressant à Croisée. Il y a un moment, en sortant de là-bas...il y a un chien noir plein de poils...Je crois qu'il suit les serpents à la trace...Prends garde à toi !
-On verra bien ! Mais je veux que le Congrès se réunisse au complet demain soir. Si je ne suis pas là, tant pis...
Mais l'assemblée était sous le coup de cette dernière nouvelle.
-Un chien capable de nous suivre à la trace...Tu es sûre ?
-Presque. Attention à ce chien, il peut nous faire plus de mal que tous les hommes réunis !
-J'en fais mon affaire ! s'exclama Terrifique, contente de pouvoir, sans grand effort intellectuel,mettre en avant ses glandes à venin qui, à la moindre contraction nerveuse, se déchargeaient par le canal de ses crochets.
Mais chacune des vipères était déjà prête à répandre la nouvelle dans son secteur, et l'on recommanda à Nacanina, grimpeuse émérite, de porter l'alarme dans les arbres, lieu de prédilection des couleuvres.
A trois heures du matin, l'assemblée était dissoute. Les serpents, retournés à leur vie normale, s'éloignèrent en directions différentes, ne se connaissant plus les uns les autres, silencieux, sombres, cependant qu'au fond de la caverne le serpent à sonnettes demeurait enroulé sur lui-même, immobile, ses durs yeux vitreux figés dans un rêve où mille chiens tombaient paralysés.