Chacun de mes livres est une trappe où je suis tombé et d'où je ne suis même pas sûr d'être remonté, car je ne me suis jamais tout à fait délivré d'un livre, ou aucun de mes livres ne m'a jamais délivré, les deux termes sont équivalents. Le souvenir de ce que j'ai souffert reste en moi si douloureux que je n'ose pas les relire et d'ailleurs le plus souvent -- c'est le cas encore aujourd'hui -- je n'ai pas d'exemplaire chez moi. Je ne les relis pas, il m'arrive seulement de les entrouvrir, je n'y entre que de biais, j'y avance pas à pas, avec prudence, hanté par la pensée d'entendre le déclic fatal, de me voir de nouveau enfermé là-dedans, d'y retrouver les images dessinées jadis par moi sur le mur et l'odeur de mes insomnies. Un désespoir inflexible qui n'est peut-être que l'inflexible refus de désespérer. |