Il est parfois nécessaire de rappeler quelques...évidences.
Ce court article de Jean-Luc Berlet replace très simplement (lors d'un café philo, c'est tout dire) les acceptions du mot "reconnaissance". Ne pas réduire la reconnaissance à de l'admiration ( : considération étonnée qui procure de la satisfaction, parfois).
Dans le prolongement de l’inspiration nietzschéenne on peut établir un parallèle entre la reconnaissance et la renaissance. Du coup, nous en venons au thème platonicien de la réminiscence lié à la théorie des Idées. Comme le montre Platon à travers l’esclave du Ménon, qui découvre par lui-même sans avoir fait de géométrie le théorème de Thalès, connaître c’est toujours reconnaître. Socrate explique à ses interlocuteurs interloqués que l’esclave n’a fait que se ressouvenir d’une essence géométrique qu’il avait contemplée préalablement dans le Ciel des Idées. Pour Platon, la connaissance n’est possible que parce qu’il y a reconnaissance, c’est-à-dire re- mémorisation de ce que notre âme a déjà vu mais oublié dans une vie antérieure. Or, une telle réminiscence constitue un acte de renaissance pour notre âme déchue qui s’est enlisée dans la matière après sa chute du Ciel des Idées. La reconnaissance est littéralement chez Platon un acte de salut philosophique qui permet à notre âme de renaître à travers sa conversion au principe spirituel…
Outre le sens moral de gratitude et le sens spirituel de réminiscence, la reconnaissance comporte aussi un sens phénoménologique largement exploité par Hegel dans La phénoménologie de l’Esprit. En effet, dans la célèbre dialectique du maître et de l’esclave, c’est la question de la reconnaissance de l’autre qui est centrale. Dans un premier moment, le maître ne devient tel qu’à travers la reconnaissance de son courage supérieur par son futur esclave, le maître étant celui qui n’a pas eu peur d’affronter la mort. Dans un second moment, l’esclave qui n’est devenu tel qu’en raison de son manque de courage face à la mort prend conscience de sa dignité humaine bafouée et se révolte contre le maître au risque de sa vie. Enfin, dans un troisième moment, l’esclave et le maître reconnaissent qu’ils ont besoin l’un de l’autre d’où l’abolition de l’esclavage et l’avènement d’un Etat libre et rationnel qui reconnaît l’égalité de droit de tous les êtres humains. Pour Hegel, toute conscience humaine a besoin de la reconnaissance par une autre conscience pour exister en tant que telle. Et même la conscience divine a besoin de se reconnaître dans le monde humain pour reconnaître pleinement sa divinité de manière spéculative. Lacan saura appliquer avec génie la philosophie spéculative hégélienne à la psychanalyse à travers son célèbre stade du miroir. Pour se connaître en tant qu’être humain, l’enfant a besoin de se reconnaître dans le miroir ! Et Simone de Beauvoir fera un usage efficace de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave pour affirmer que le temps de la reconnaissance par l’homme de l’égalité de la femme était venu…
Notre point commun entre les différentes acceptions du mot reconnaissance est donc trouvé : il s’agit tout simplement de l’amour. Qu’il s’agisse de gratitude, de réminiscence ou de réconciliation, la reconnaissance est fondée sur un acte d’amour.