SARA, debout, près d'Axël, et appuyée au prie-Dieu, parlant comme si elle suivait, en un songe, une succession de mirages entre ses paupières à demi fermées : Dis, cher aimé! Veux-tu venir vers ces pays où passent ces caravanes, à l'ombre des palmiers de Kachmyr ou de Mysore ? Veux-tu venir au Bengale choisir, dans les bazars, des roses, des étoffes et des filles d'Arménie, blanches comme le pelage des hermines ? Veux-tu lever des armées - et soulever le nord de l'Iran, comme un jeune Cyaxare ? - ou, plutôt, si nous appareillions pour Ceylan, où sont les blancs éléphants aux tours vermeilles, les aras de feu dans les feuillages, et d'ensoleillées demeures où tombent les pluies des jets d'eau dans les cours de marbre ? - Veux-tu vivre durant quelques jours, d'une existence étrange et lointaine, en ces habitations de porcelaine, à Yeddo, où sont les lacs japonais ? Là s'épanouissent, sous la lune, des touffes de fleurs barbares pareilles à des faisceaux de poignards parfumés. Le soir, il nous plairait, peut-être, de revenir, en fumant l'opium dans des tuyaux d'or et de jade, au bercement des palanquins. - Aimes-tu mieux que je me baigne dans les vagues où se mira la grande Carthage, près d'une maison de basalte, où brûlent sur des trépieds d'argent, des parfums ? - Ou si nous visitions les rouges Espagnes! Oh! Ce doit être triste et merveilleux, les palais de Grenade, le Generalife, les lauriers roses de Cadix l'Andalouse, les bois de Pampelune, où les citronniers sont si nombreux que les étoiles, à travers les feuillages, en semblent les fleurs d'or! Et les vestiges des temples sarrasins, l'Art disparu, les villes moroses ! - Et, plus loin, les îles Fortunées, où l'hiver tout en fleurs, humilie le printemps des autres contrées! Là, ce sont des rochers que l'aube transfigure en saphirs immenses, et le flot vient y mourir, dans une brume d'or et d'opale, doux comme un dernier baiser. - Si tu le préfères, nous réaliserons des rêves de gloire, nous accomplirons des tâches sublimes, nous nous ferons bénir par des peuples! - Mais, si tu veux aussi, toi l'espingole à l'épaule et moi la harpe à la ceinture, vêtus de riches haillons diaprés, nous irons, en nomades, chanter sur les routes et dans les carrefours des villes de Bohême, comme les tziganes basanés; je dirai l'avenir aux belles filles et l'on nous jettera des pièces d'argent dans une sébile pour notre repas du soir à l'hôtellerie ! Ainsi nous pourrons cheminer en chantant, depuis le sud du pays des Bulgares jusqu'au détroit de Bab-el-Mandeb. - Veux-tu que nous laissions étinceler sous nos attelages les dalles des quais de la Néva, ou du Danube ? Peut-être il te plairait de voir les danses des femmes de Pologne et de Hongrie, avec des festins et des musiques, au fond des palais ?- Veux-tu, aventuriers hasardeux, sur notre brick aux canons d'acier, en touchant aux archipels, explorer depuis les côtes de Guinée jusqu'aux bords silencieux de l'Hudson ? Ensuite remonter le Nil ? Illuminer l'intérieur des pyramides de Chephrem et d'Osymandias dont nous pouvons doubler le cercle d'or! Ne pouvons-nou également venir, aux bords du Gange, fonder, nous aussi, quelque religion divine ? Va! nous ferons des miracles, nous élèverons des temples, et, sans aucun doute, le Ciel même nous obéira. - Si nous allions, quelque jour, cueillir des poisons délicieux en Mélanésie et nous promener à Sumatra, sous les mancenilliers ? Veux-tu laisser voir mon visage aux rivières qui coulent près de Golconde, de Vishapour ou d'Ophir ? Ou voyager en Nubie sur les bords du Zaijr, la rivière ténébreuse où le soir tombe sans crépuscule ? Veux-tu venir voir Séleucie, où de saints apôtres ont pris la mer, allant à la conquête du monde ?- Veux-tu vivre à Antioche parmi les ruines, - là, des lierres suppliants arrêtent au passage les pèlerins!- Mais, plutôt, envolons-nous, comme les alcyons, vers des horizons toujours bleus et calmes, à Corinthe, à Palerme, sous les portiques de Silistria! - Viens! nous passerons, en trirème, au-dessus de l'Atlantide!- A moins que nous n'allions contempler, plutôt, les clartés nocturnes, sur la terre d'Idumée? - Puis, aussi, le septentrion! - Quel plaisir d'attacher nos patins d'acier sur les routes de la pâle Suède! ou vers Cristiana, dans les sentiers et les fjords éclatants des monts de la Norvège ! - Ne pouvons-nous, encore, aller vivre, perdus dans un cottage recouvert de neige, dans quelque village du Nord ? - Veux-tu voir les landes désolées du pays de Galles ? les parcs de Windsor, et de la brumeuse Londres ? Rome, la ville sombre de splendeurs ? - le frivole Paris illuminé? - Comme il doit sembler étrange d'errer dans les rues bariolées de Nuremberg, la patiente ville de minuit! -Veux-tu troubler le reflet des étoiles dans le golfe de Naples, ou dans les lagunes de Venise, en laissant aller au sillage de la gondole quelque étoffe merveilleuse de Smyrne ou de Bassora ? - Veux-tu voir, heureux ensemble en quelque helvétien chalet, l'aurore briller sur les neiges du Mont-Rose ?- Préfères-tu le hamac des Antilles aux tentes de Bessarabie ? ou la volupté de l'espace ? Nous laisser emporter tous les deux sur la glace des rennes, ou sur le sable par les autruches, autour d'une tente, dans une oasis de l'ancienne Heptanomide, les dromadaires paisibles et agenouillés ?- Veux-tu nous ensevelir à Pompéia, dans une existence latine, comme si les Césars vivaient encore ? Ou, plus loin, vers le plus sombre Orient ? Viens. J'appuierai mon bras sur le tien, au milieu des pierres qui furent les jardins suspendus de Ninive! et des ruines que furent Thèbes, Sardes, Héliopolis, Ancyre, Sicyone, Eleusis, - et la ville des mages, Ecbatane! Aimes-tu mieux une tour de marbre près de l'Euphrate, ou les sycomores de Solyme, ou sur les hauteurs de l'Horeb ? - Veux-tu rêver le rêve oriental et joyeux ? nous établir marchands à Samarcande, et trafiquer ? Tu te feras l'ambassadeur de quelque reine lointaine et tu me rendras visite à Saba. Nous verrons, en rois soucieux, le soleil, le soir, incendier les eaux de la mer Rouge! - Mais, si tu le veux, aussi, nous serons simplement amoureux l'un de l'autre et nous irons dans quelque hutte des Florides, écouter les colibris!...Vois-tu, puisque nous sommes tout-puissants, puisque, maintenant, nous sommes pareils à des rois inconnus, que nous importe de préférer tel rêve entre les rêves ? Et, quant au pays de notre exil, toutes les contrées de la terre ne seront-elles pas, pour nous, l'île de Thulé ?
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Lear.
Soufflez, les vents, soufflez, jusqu'à crever vos joues; Faites rage, soufflez! Trombes et cataractes, Submergez nos clochers et noyez-en le coq! O vous feux sulfureux, prompts comme la pensée, Avant-coureurs du coup qui fend en deux le chêne, Grillez mes cheveux blancs ! Foudre qui tout ébranle, Aplatis la rondeur et l'épaisseur du monde, Romps ce que la nature a de moules; sur l'heure, Tout germe qui produit l'homme ingrat, détruis-le. Le Fou. Mon oncle, mieux vaut eau bénite de cour en un logis où l'on est bien au sec, qu'eau de pluie hors du logis. Mon bon oncle, rentre auprès de tes filles et leur demande leur bénédiction: voilà une nuit qui n'a de pitié pour le sage ni pour le fou. Lear. Va, gronde tout ton saoûl; crache, feu; verse, pluie; Vous, je ne vous reproche,éléments, d'être ingrats, Vous, je ne vous ai point fait présent d'un royaume, Ni nommé mes enfants: d'où ne me devez-vous Nulle soumission. Lancez donc contre moi Votre horrible décret. Je suis là, votre chose, Un pauvre et faible vieux, débile et rebuté... ORPHÉE
Je ne t'ai pas dit merci non plus pour ton courage... EURYDICE Mon courage ? ORPHÉE Pour les jours, qui ne vont pas tarder, où tu laisseras passer l'heure du dîner, en fumant, avec moi, la dernière cigarette, une bouffée chacun. Pour les robes que tu feras semblant de ne pas voir dans les vitrines; pour les commerçants ricaneurs, les patrons d'hôtel hostiles, les concierges...Je ne t'ai pas dit merci pour les lits faits, les chambres balayées, les vaisselles, les mains rougies et le gant qui se troue, et l'odeur de la cuisine dans les cheveux. Tout ce que tu m'as donné en acceptant de me suivre. Eurydice a la tête baissée; il la regarde en silence Je ne croyais pas que c'était possible de rencontrer un jour le camarade qui vous accompagne, dur et vif, porte son sac et n'aime pas non plus faire des sourires. Le petit copain muet qu'on met à toutes les sauces et qui, le soir, est belle et chaude contre vous. Pour vous seul une femme, plus secrète, plus tendre que celles que les hommes sont obligés de traîner tout le jour derrière eux, parées d'étoffe. Ma farouche, ma sauvage, ma petite étrangère...Je me suis réveillé cette nuit pour me demander si je n'étais pas un homme aussi lourd que les autres, avec de l'orgueil bête et de grosses mains, et si je te méritais bien. LUCIEN
Qu'est-ce que tu lui donneras ? Tu n'as rien à donner. Vous n'avez rien à donner toutes autant que vous êtes, que votre corps pour une minute et vos petits états d'âme fugitifs. JEANNETTE Ce n'est pas vrai ! LUCIEN Et lui non plus n'a rien à te donner. Vous êtes des amants. Vous avez joué la carte de l'amour. Vous pouvez la danser jusqu'au bout la danse maintenant. Vous jeter à l'eau de désespoir, vous tuer l'un l'autre, vous soigner lépreux, vous vendre. Frimes! mirages!apparences! Vous n'avez rien à donner...Vous avez choisi l'amour, vous avez choisi de prendre toujours et de ne penser qu'à vous. JEANNETTE Ce n'est pas vrai ! LUCIEN Si ! Vous avez choisi l'amour, vous êtes là pour vous haïr...Vous êtes là pour vous venger, vous ne saurez jamais de quelle offense. Et pas la peine de se frapper le coeur, c'est la loi depuis toujours, depuis qu'il y a des hommes et des femmes et que l'amour les colle un matin deux à deux, comme des mouches. JEANNETTE Non ! LUCIEN Si! Et vous allez peut-être partir dans le monde tout à l'heure tous les deux, la main dans la main, mais en vous épiant comme deux ennemis dans le désert. Et les gens diront : le joli couple ! comme ils s'aiment ! Le joli couple d'assassins, oui ! Prêt à tout, mes bonnes dames. Griffes dehors et la dent longue ! Il faut qu'il y en ait un qui ait la peau de l'autre et le plus vite sera le mieux ! Voilà ce que c'est votre amour ! Je ne sais quelle émotion j'éprouve en touchant ce voile; une frayeur me saisit; je crois toucher au sanctuaire de quelque Divinité... Pygmalion ! c'est une pierre; c'est ton ouvrage. Qu'importe ? On sert des Dieux dans nos temples, qui ne sont pas d'une autre matière et n'ont pas été faits d'une autre main.
(Il lève le voile en tremblant, et se prosterne. On voit la statue de Galathée posée sur un piédestal fort petit, mais exhaussé par un gradin de marbre, formé de quelques marches demi-circulaires.) O Galathée! recevez mon hommage. Oui je me suis trompé : j'ai voulu vous faire Nymphe, et je vous ai faite Déesse : Vénus même est moins belle que vous. Vanité, faiblesse humaine ! je ne puis me lasser d'admirer mon ouvrage; je m'enivre d'amour-propre; je m'adore dans ce que j'ai fait... Non jamais rien de si beau ne parut dans la nature; j'ai passé l'ouvrage des dieux... Quoi ! tant de beautés sortent de mes mains ? Mes mains les ont donc touchées ? Ma bouche a donc pu... Pygmalion ! Je vois un défaut. Ce vêtement couvre trop le nu; il faut l'échancrer davantage; les charmes qu'il recèle doivent être mieux annoncés. (Il prend son maillet et son ciseau, puis s'avançant lentement, il monte, en hésitant, les gradins de la statue qu'il semble n'oser toucher. Enfin, le ciseau déjà levé, il s'arrête.) Quel tremblement! quel trouble ! Je tiens le ciseau d'une main mal assurée... je ne puis... je n'ose... je gâterai tout. (Il s'encourage, et enfin, présentant son ciseau, il en donne un seul coup, et, saisi d'effroi, il le laisse tomber, en poussant un grand cri.) Dieux ! je sens la chair palpitante repousser le ciseau ! (Il redescend, tremblant et confus.) ...Vaine terreur, fol aveuglement... Non, je n'y toucherai point; les Dieux m'épouvantent. Sans doute elle est déjà consacrée à leur rang. (Il la considère de nouveau.) Que veux-tu changer ? regarde; quels nouveaux charmes veux-tu lui donner ?... Ah ! c'est la perfection qui fait son défaut... Divine Galathée ! moins parfaite, il ne te manquerait rien. ( Tendrement.) Mais il te manque une âme : ta figure ne peut s'en passer. (Avec plus d'attendrissement encore.) Que l'âme faite pour animer un tel corps doit être belle !
L'intimité du ménage...Vénus passe des heures et des heures devant son miroir à se maquiller...à se remonter les seins...et le reste...elle fait de l'oeil à tout le personnel du Palais pour voir si ça rend toujours...si le charme suprême agit encore...sur les petits espadons de service...sur les affreux morses...sur les requins mêmes...elle veut séduire même les pieuvres hideuses...n'importe quoi...n'importe qui...elle se tient très mal...son charme n'agit plus...elle tourne affreuse...scandaleuse...hargneuse...à tout propos elle pique des crises...se lance à de terribles scènes de jalousie...de dépit...
Neptune ne trouve plus dans l'exercice de son décadent et fastidieux pouvoir qu'une petite compensation...une petite consolation...une seule...le Corps de ballet des sirènes...Vénus s'apprête justement à donner pour fêter leur 1500è anniversaire de mariage une très grande fête sous-nautique à laquelle participera le Corps de ballet. Tous les poissons des océans assistent à cette fête...Fête aux Abysses...Danse des sirènes... Neptune a voué un intérêt tout particulier à l'une des plus charmantes sirènes du ballet...la toute ravissante et menue Pryntyl...toute espiègle et mutine...étoile du ballet des Ondes...Pendant le spectacle, entre deux actes du ballet...Neptune abandonne un moment son trône aux côtés de Vénus...sous le prétexte d'aller coiffer une autre couronne...celle qu'il porte est bien trop lourde!...trop pesamment chargée de dauphins d'or...Neptune passe dans les coulisses...retrouve la mignonne Pryntyl derrière un buisson d'algues...lui adresse de vifs reproches...pour sa froideur...sa cruauté envers son bon pépé Neptune... -Appelle-moi Nunune! lui demande-t-il affectueusement...Il lui demande aussi de se montrer plus tendre, plus confiante...il fait sauter Pryntyl sur ses genoux sans façon...Minute de détente...
Il ne reste que Jeannette qui tient toujours son poulet contre elle, immobile, Lucien toujours debout sur le canapé et Frédéric qui n’a pas cessé de regarder Jeannette depuis qu’elle est entrée. Un silence après tout ce bruit. Frédéric dit soudain doucement sans bouger. FREDERIC Je vous demande pardon. (Jeannette le regarde, il sourit un peu.)Mais votre père a raison, nous sommes tous mortels. Il aurait peut-être pu se faire écraser. JEANNETTE Ecrasé ce n’est pas pareil. Je suis sûre qu’il a eu peur, je suis sûre qu’il a vu le couteau et qu’il a compris. Il était tellement intelligent. FREDERIC, sans rire. Il n’a peut-être pas eu le temps de comprendre exactement ce qu’elle lui voulait. JEANNETTE, sombre. Si. Je suis sûre qu’il s’est vu mourir. Comme si c’était sa faute si le déjeuner n’était pas prêt. Il ne pensait qu’à courir dans l’herbe, à chercher des petits vers, bien tranquillement, à avoir peur du vent qui fait bouger les ombres. Ah ! leur ventre, leur sale ventre, comme ils y pensent. (Elle regarde Frédéric, recule un peu.) Mais qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas, vous non plus. FREDERIC Je suis le fiancé de Julia. JEANNETTE le regarde, méfiante. Ah !Alors vous êtes le fils de l’autre ? FREDERIC sourit. Oui. Mais il ne faut pas être injuste, ce n’est pas ma faute. JEANNETTE qui regarde son poulet, navrée. Pauvre Léon. Il aurait tellement voulu devenir un grand coq redoutable. Un vrai coq avec une vraie crête rouge, qui réveille tout le monde le matin. FREDERIC, doucement. Vous ne mangez jamais de poulets ? JEANNETTE baisse la tête. Si. Des poulets que je ne connais pas. Mais je sais aussi que c’est injuste. J’ai essayé de ne plus manger de viande. Je n’ai pas pu. J’ai trop envie. FREDERIC Alors, vous non plus ce n’est pas votre faute. JEANNETTE secoue la tête, sombre. Si. Quand je serai vieille, quand je comprendrai tout, comme les autres, je sais que je dirai cela moi aussi, que rien n’est de la faute de personne. Cela doit être bon tout d’un coup, de tout admettre ; de tout excuser, de ne plus jamais se révolter. Vous ne trouvez pas que c’est long, vous, d’être vieux ? FREDERIC sourit. Il suffit d’avoir un peu de patience. JEANNETTE Je n’aime pas la patience. Je n’aime pas me résigner, ni accepter. Elle a dû vous en dire des choses sur moi, ma sœur. FREDERIC sourit Oui. Beaucoup. JEANNETTE Et bien, tout est vrai ! Et je suis pire encore. Et tout est de ma faute. Je suis la honte de la famille, on a dû vous expliquer : celle qui fait tout ce qu’on ne doit pas. Il faut me détester ! FREDERIC sourit. Je sais. JEANNETTE Et puis il ne faut pas me sourire comme à un enfant et croire que j’ai besoin d’indulgence. Je n’aime pas la sensiblerie, non plus, ni qu’on pleurniche. Vous avez raison. Je mange les autres poulets, pourquoi ne mangerais-je pas celui-là maintenant qu’il est mort ? Parce que je l’aimais ? C’est trop bête. Je vais le rendre à l’ogresse ! (Elle va vers la cuisine en criant.) Tenez, le voilà votre poulet, les deux femmes !...Plumez-le dans votre cuisine et faites-le cuire si vous voulez ! Elle a disparu, Frédéric se retourne vers Lucien qui n’a pas bougé, suivant toute cette scène avec son œil ambigu, et lui dit d’une voix qui se veut enjouée et qui ne l’est pas. FREDERIC Elle est étonnante ! Lucien le regarde une seconde sans rien dire, puis il laisse tomber, descendant de son canapé avec un sourire. LUCIEN Oui. Elle n’a pas fini de vous étonner. Frédéric, surpris par son ton, le regarde. LE RIDEAU TOMBE
Créon, qui dirige Thèbes, a édicté un décret interdisant que l'on enterre Polynice, frère d'Antigone et d'Ismène, parce qu'il a porté les armes contre sa cité. Antigone a transgressé cette loi. CRÉON Apprends que c'est le manque de souplesse, le plus souvent, qui nous fait trébucher. Le fer massif, si tu le durcis au feu, tu le vois presque toujours éclater et se rompre. Mais je sais aussi qu'un léger frein a bientôt raison des chevaux rétifs. Oui, l'orgueil sied mal à qui dépend du bon plaisir d'autrui. Celle-ci savait parfaitement ce qu'elle faisait quand elle s'est mise au-dessus de la loi. Son forfait accompli, elle pèche une seconde fois par outrecuidance lorsqu'elle s'en fait gloire et sourit à son œuvre. En vérité‚ de nous deux, c'est elle qui serait l'homme si je la laissais triompher impunément. Elle est ma nièce, mais me touchât-elle par le sang de plus près que tous les miens, ni elle ni sa sœur n'échapperont au châtiment capital. Car j'accuse également Ismène d'avoir comploté avec elle cette inhumation. Qu'on l'appelle : je l'ai rencontrée tout à l'heure dans le palais l'air égaré, hors d'elle. Or ceux qui trament dans l'ombre quelque mauvais dessein se trahissent toujours par leur agitation... Mais ce que je déteste, c'est qu'un coupable, quand il se voit pris sur le fait, cherche à peindre son crime en beau. ANTIGONE Je suis ta prisonnière; tu vas me mettre à mort : que te faut-il de plus ? CRÉON Rien, ce châtiment me satisfait. ANTIGONE Alors pourquoi tardes-tu ? Tout ce que tu me dis m'est odieux, - je m'en voudrais du contraire - et il n'est rien en moi qui ne te blesse. En vérité, pouvais-je m'acquérir plus d'honneur qu'en mettant mon frère au tombeau ? Tous ceux qui m'entendent oseraient m'approuver, si la crainte ne leur fermait la bouche. Car la tyrannie, entre autres privilèges, peut faire et dire ce qu'il lui plaît. CRÉON Tu es seule, à Thèbes, à professer de pareilles opinions. ANTIGONE, désignant le choeur. Ils pensent comme moi, mais ils se mordent les lèvres. CRÉON Ne rougis-tu pas de t'écarter du sentiment commun ? ANTIGONE II n'y a point de honte à honorer ceux de notre sang. Orphée a obtenu le droit de ramener Eurydice chez les vivants, mais à condition de ne pas se retourner pour la regarder. Elle n'est pas informée de cette contrainte.
ACTE IV Le théâtre représente une caverne obscure et inhabitée, qui conduit hors des Enfers. Scène première. Orphée amène Eurydice par la main, sans la regarder. [...] ORPHÉE Eurydice, suis-moi, Profitons sans retard de la faveur céleste; Sortons, fuyons ce lieu funeste. Non, tu n'es plus une ombre, et le dieu des amours Va nous réunir pour toujours. EURYDICE Qu'entends-je ? Ah ! Se peut-il ? Heureuse destinée ! Eh quoi! nous pourrons resserrer D'amour la chaîne fortunée ? ORPHÉE Oui, suis mes pas sans différer. (Il quitte la main d'Eurydice.) EURYDICE Mais, par ta main ma main n'est plus pressée ! Quoi! Tu fuis ces regards que tu chérissais tant ! Ton cœur pour Eurydice est-il indifférent ? La fraîcheur de mes traits serait-elle effacée ? ORPHÉE (à part.) Oh dieux! quelle contrainte ! (Haut.) Eurydice, suis-moi... Fuyons de ces lieux, le temps presse, Je voudrais t'exprimer l'excès de ma tendresse... (A part.) Mais, je ne puis ! ô trop funeste loi ! EURYDICE (tendrement.) Un seul de tes regards !... ORPHÉE Tu me glaces d'effroi ! EURYDICE Ah ! Barbare ! Sont-ce là les douceurs que ton cœur me prépare ? Est-ce donc là le prix de mon amour ? Ô fortune jalouse ! Orphée, hélas ! se refuse en ce jour Aux transports innocents de sa fidèle épouse. ORPHÉE Par tes soupçons, cesse de m'outrager. EURYDICE Tu me rends à la vie, et c'est pour m'affliger ! Dieux, reprenez un bienfait que j'abhorre1 ! Ah ! cruel époux, laisse-moi ! ORPHÉE Viens ! Suis un époux qui t'adore. Orphée aux Enfers (I,2) opéra-bouffe de Jacques Offenbach, livret d'Hector Crémieux version de 18588/2/2015 Orphée est ici un professeur de musique qui dirige la fanfare de Thèbes. Il est marié à Eurydice, qui vient de le surprendre en train de séduire une nymphe, alors qu'elle même le trompe avec le berger Aristée.
EURYDICE Fort bien ! Savez-vous ce que je conclus de tout cela, mon bon chéri ?... c'est que si j'ai mon berger, vous avez votre bergère... eh bien ! Je vous laisse votre bergère, laissez-moi mon berger. ORPHÉE Allons ! Madame, cette proposition est de mauvais goût !... EURYDICE Pourquoi donc, je vous prie ? ORPHÉE Parce que... parce que... tenez ! Vous me faites rougir ! EURYDICE Vraiment ! Eh bien ! Si cette couleur-là vous déplaît, nous tâcherons de vous en trouver une autre. ORPHÉE Eurydice !... Ma femme ?... EURYDICE Ah ! Mais, c'est qu'il est temps de s'expliquer, à la fin ! Et il faut qu'une bonne fois je vous dise votre fait, maître Orphée, mon chaste1 époux, qui rougissez ! Apprenez que je vous déteste ! Que j'ai cru épouser un artiste et que je me suis unie à l'homme le plus ennuyeux de la création. Vous vous croyez un aigle, parce que vous avez inventé les vers hexamètres!... mais c'est votre plus grand crime à mes yeux !... est-ce que vous croyez que je passerai ma jeunesse à vous entendre réciter des songes classiques et racler (montrant le violon d'Orphée) l'exécrable instrument que voilà ?... ORPHÉE Mon violon !... ne touchez pas à cette corde, madame ! EURYDICE Il m'ennuie, comme vos vers, votre violon !... allez charmer de ces sons les bergères de troisième ordre dont vous raffolez. Quant à moi, qui suis fille d'une nymphe et d'un demi-dieu, il me faut la liberté et la fantaisie !... j'aime aujourd'hui ce berger, il m'aime; rien ne me séparera d'Aristée !
[Le général Macbeth se laisse persuader par une prophétie ambiguë qu’il deviendra roi. Son épouse, Lady Macbeth, plus ambitieuse et moins retenue par de nobles scrupules, le pousse à tuer le roi Duncan pour s’emparer du trône et l’y remplacer. Pris par le doute, alors qu’il doit justement recevoir Duncan chez lui, Macbeth remet en cause son projet.] Entre Lady Macbeth. MACBETH. — Eh bien quoi de nouveau ? LADY MACBETH. — Il a presque soupé... Pourquoi avez-vous quitté la salle ? MACBETH. — M’a-t-il demandé ? LADY MACBETH. — Ne le savez-vous pas ? MACBETH. — Nous n’irons pas plus loin dans cette affaire. Il vient de m’honorer; et j’ai acheté de toutes les classes du peuple une réputation dorée qu’il convient de porter maintenant dans l’éclat de sa fraîcheur, et non de jeter sitôt de côté. LADY MACBETH. — Était-elle donc ivre, l’espérance dans laquelle vous vous drapiez ? s’est-elle endormie depuis ? et ne fait-elle que se réveiller pour verdir et pâlir ainsi devant ce qu’elle contemplait si volontiers ? Désormais je ferai le même cas de ton amour. As-tu peur d’être dans tes actes et dans ta résolution le même que dans ton désir ? Voudrais-tu avoir ce que tu estimes être l’ornement de la vie, et vivre couard dans ta propre estime, laissant un je n’ose pas suivre un je voudrais, comme le pauvre chat de l’adage ? MACBETH. — Paix je te prie. J’ose tout ce qui sied à un homme : qui ose au-delà n’en est plus un. LADY MACBETH. — Quelle est donc la bête qui vous a poussé à me révéler cette affaire ? Quand vous l’avez osé, vous étiez un homme; maintenant, soyez plus que vous n’étiez, vous n’en serez que plus homme. Ni l’occasion, ni le lieu ne s'offraient alors, et vous vouliez pourtant les créer tous deux. Ils se sont créés d’eux-mêmes, et voilà que leur concours vous anéantit. J’ai allaité, et je sais combien j’aime tendrement le petit qui me tète : eh bien ! au moment où il souriait à ma face, j’aurais arraché le bout de mon sein de ses gencives sans os, et lui aurais fait jaillir la cervelle, si je l'avais juré comme vous avez juré ceci. MACBETH. — Si nous allions échouer ? LADY MACBETH. — Nous, échouer ! Chevillez seulement votre courage au point résistant, et nous n’échouerons pas. Lorsque Duncan sera endormi (et le rude voyage d’aujourd’hui va l’inviter bien vite à un somme profond), j’aurai raison de ses deux chambellans avec du vin et de l’ale, à ce point que la mémoire, gardienne de leur cervelle, ne sera que fumée, et le récipient de leur raison qu’un alambic. Quand le sommeil du porc tiendra gisant, comme une mort, leur être submergé, que ne pourrons-nous, vous et moi, exécuter sur Duncan sans défense ? Que ne pourrons- nous imputer à ses officiers, placés là, comme des éponges pour absorber le crime de ce grand meurtre ? MACBETH. — Ne mets au monde que des enfants mâles ! car ta nature intrépide ne doit former que des hommes... Ne sera-t-il pas admis par tous, quand nous aurons marqué de sang ses deux chambellans endormis et employé leurs propres poignards, que ce sont eux qui ont fait la chose ? LADY MACBETH. — Qui osera admettre le contraire, quand nous ferons rugir notre douleur et nos lamentations sur sa mort ? MACBETH. — Me voilà résolu je vais tendre tous les ressorts de mon être vers cet acte terrible. Allons et jouons notre monde, par la plus sereine apparence. Un visage faux doit cacher ce que sait un cœur faux. (Ils sortent.) MACBETT : — L’État, c’est lui. BANCO : — De mon domaine, qu’il n’a pas augmenté, il me prend dix mille volailles par an, avec leurs œufs. MACBETT : — C’est inacceptable. BANCO : — J’ai combattu pour lui, vous le savez, à la tête de mon armée personnelle. Il veut l’intégrer dans son armée. Mes propres hommes, qu’il pourrait lancer contre moi-même. MACBETT : — Aussi contre moi-même. BANCO : — Jamais vu ça. MACBETT : — Jamais, depuis que mes ancêtres... BANCO : — Que mes ancêtres aussi. MACBETT : — Avec tous ceux qui fouillent et qui farfouillent autour de lui. BANCO : — Qui s’engraissent avec la sueur de notre front. MACBETT : — Avec la graisse de nos volailles. BANCO : — De nos brebis. MACBETT : — De nos cochons. BANCO : — Le cochon MACBETT : — De notre pain. BANCO : — Avec le sang que nous avons versé pour lui... MACBETT : — Les périls dans lesquels il nous engage... BANCO : — Dix mille volailles, dix mille chevaux, dix mille jeunes gens... Qu’est-ce qu’il en fait ? Il ne peut pas tout manger. Le reste pourrit. MACBETT : — Et mille jeunes filles. BANCO : — Nous savons bien ce qu’il en fait. MACBETT : — Il nous doit tout. BANCO : — Bien plus encore. MACBETT : — Sans compter le reste. BANCO : — Mon honneur... MACBETT : — Ma gloire... BANCO : — Mes droits ancestraux... MACBETT : — Mon bien... BANCO : — Le droit d’accroître nos richesses. MACBETT : — L’autonomie. BANCO : — Seul maître de mon espace. MACBETT : — Il faut l’en expulser. BANCO : — Il faut l’expulser de partout. A bas Duncan ! MACBETT : — A bas Duncan ! BANCO : — Il faut l’abattre. MACBETT : — J’allais vous le proposer... Nous nous partagerons la principauté. Chacun aura sa part, je prendrai le trône. Je serai votre souverain. Vous serez mon vizir. BANCO : — Le premier après vous. MACBETT : — Le troisième. Car ce que l’on va faire n’est pas facile. Nous serons aidés. Il y a une troisième personne dans le complot : c’est Lady Duncan. BANCO : — Ça alors.., ça alors... D’accord ! Heureusement. MACBETT : — Elle est indispensable. Entre par le fond Lady Duncan. BANCO : — Madame !... Quelle surprise! MACBETT, à Banco : — C’est ma fiancée. BANCO : — La future Lady Macbett ? ça alors... (A l’un et l’autre.) Toutes mes félicitations. Il baise la main de Lady Duncan. LADY DUNCAN : — A la vie, à la mort ! Ils sortent tous les trois un poignard, ils lèvent les bras, croisent les poignards. ENSEMBLE : — Jurons de tuer le tyran MACBETT : — L’usurpateur BANCO : — A bas le dictateur ! LADY DUNCAN : — Le despote. MACBETT : — Ce n’est qu’un mécréant. BANCO : — Un ogre LADY DUNCAN : — Un âne. MACBETT : — Une oie. BANCO : — Un pou. LADY DUNCAN : — Jurons de l’exterminer. LES TROIS, ensemble : — Nous jurons de l’exterminer. Ce texte a été écrit, mis en scène, créé en 2006, et interprété par Jean-René Lemoine.
Théâtre-école de Carlo Boso et Danuta Zarazik |
LE CHOEUR Quoi ? Qu'est-ce que tu ne sais pas ? ULYSSE Si je voudrais revenir chez les hommes Revenir à la vie oui sous le large du ciel oui Poser mon épaule à l'arbre ma joue Contre la fraîcheur mouillée de l'herbe oui Dormir avec la vague et l'étoile oui Presser ma bouche contre un sein nu oui Que se fende sous moi le corps d'une femme oui Si la vie n'était que ça une douceur sans cause Un vin d'orange dans un soir d'été Alors oui mais l'homme mais les hommes Mais Ithaque dont la nuit grouille de serpents Comme la chevelure hérissée de la Gorgone Euméos a parlé juste sous le masque Quand il jouait les Tirésias Il y a en moi une violence depuis longtemps préparée La première occasion lui sera bonne et La haine bientôt débordera les lèvres de tous Le cœur des hommes est une vieille souche Prête à vomir son nid de frelons Je n'ai plus de courage je je Ne suis venu peut-être ici Que pour fuir ici n'importe où loin du monde Chercher dans ce lointain formidable Cette énorme terreur immobile Une paix qui n'a pas de nom chez les hommes Le vide affreux impitoyable Que me donnerait la seconde d'un oubli L'éternité d'une seconde d'oubli. |
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