Orphée est un poète musicien qui vit seul sur une colline en Grèce. Sa compagne Eurydice le regarde dormir. EURYDICE Vole et danse ! Va-t-en... où tu voudras en esprit ! à genoux, prieuse plaintive aux flancs du dormeur... Je suis là, fidèle à ton corps endormi, plus docile que toute fille ou femme humaine... Qu'une autre, jalouse, implore les caresses et le don nuptial, Je ne demande rien : je suis là, au bord de ton sommeil. Tu ne m'as jamais dit ce qu'on dit en aimant. Une première fois, tu as chanté : « J'aime... » A quoi bon ? Il dort plus sourdement ! Il est parti, il est perdu de lui, il s'est dépris de ce corps que je tiens sous mes doigts. Va-t-en ! Va-t-en ! Non. Reste parmi nous les vivants. Reviens à moi. Je t'aime. Mais je ne veux plus que tu rêves si je ne peux pas aimer ton rêve aussi ! Ah ! Elle s'abat toute sur Orphée; étreignant le dormeur sans défense, couvrant le visage de ses mains qui font des signes et des caresses... Un cri... Eurydice se rejette en arrière. ORPHÉE a ouvert les yeux. Toute la musique se tait. LONG SILENCE rompu par la voix tremblante d'Eurydice. EURYDICE Pardonne-moi... J'ai... ORPHÉE Que ce monde est sourd et silencieux ! EURYDICE Ce monde... Où étais-tu ? ORPHÉE Qui m'a rappelé ? Qui m'a frappé ? EURYDICE Oh non ! pas moi ! J'ai mal... Cette corde en cassant m'a cinglée... Personne ne l'a touchée... Elle s'est brisée toute seule... Mais tant mieux, et toutes les autres ! Voilà d'où vient ton mépris de moi, et les haines autour de toi-même : ta Lyre. Je la déteste : elle te possède, elle t'ensorcelle... Mais je te délivrerai. Je t'éveillerai toujours de tes mauvais songes. Alors, tu me diras ce qu'on dit en aimant. ORPHÉE Dans un transport passionné, Orphée saisit sa Lyre, se lève, et, - détourné d'Eurydice : Tu es belle et indomptable, Lyre, amante enchantée ! Gardienne au seuil de mes palais sonores! Réseau fier qui trame mes sommeils et défend mon rêve chantant, Lyre, c'est à toi que vont les jeux aimants : tes hanches sont polies et nacrées; la courbe de tes cornes est cambrée comme deux bras dansants. Ta voix est nombreuse ! Ta voix est hardie ! Quand tu trembles, tout s'agite et retentit. Mais, tes nerfs vivants, voici qu'ils se brisent : la corde morte traîne sur mes poignets et sur mes doigts. Quel discord a pu la rompre ? Ô seule ! Vas-tu m'abandonner ainsi ? Je t'emporte, je te ravis, je te sauve avec moi-même ! Il s'en va, descendant le cours du Fleuve. Eurydice éclate en sanglots. Le rideau tombe brutalement. |
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