Je ne t'ai pas dit merci non plus pour ton courage...
EURYDICE
Mon courage ?
ORPHÉE
Pour les jours, qui ne vont pas tarder, où tu laisseras passer l'heure du dîner, en fumant, avec moi, la dernière cigarette, une bouffée chacun. Pour les robes que tu feras semblant de ne pas voir dans les vitrines; pour les commerçants ricaneurs, les patrons d'hôtel hostiles, les concierges...Je ne t'ai pas dit merci pour les lits faits, les chambres balayées, les vaisselles, les mains rougies et le gant qui se troue, et l'odeur de la cuisine dans les cheveux. Tout ce que tu m'as donné en acceptant de me suivre.
Eurydice a la tête baissée; il la regarde en silence
Je ne croyais pas que c'était possible de rencontrer un jour le camarade qui vous accompagne, dur et vif, porte son sac et n'aime pas non plus faire des sourires. Le petit copain muet qu'on met à toutes les sauces et qui, le soir, est belle et chaude contre vous. Pour vous seul une femme, plus secrète, plus tendre que celles que les hommes sont obligés de traîner tout le jour derrière eux, parées d'étoffe. Ma farouche, ma sauvage, ma petite étrangère...Je me suis réveillé cette nuit pour me demander si je n'étais pas un homme aussi lourd que les autres, avec de l'orgueil bête et de grosses mains, et si je te méritais bien.