(...)Voyons, humains, aveugles de nature, êtres semblables à des feuilles, créatures de rien, pétris de boue, pareils à des ombres, inintelligents, privés d'ailes, éphémères, infortunés mortels, qu'on prendrait pour des songes, prêtez l'oreille à nous, qui sommes immortels, durant toujours, aériens, exempts de vieillesse, occupés de pensées impérissables. Quand vous aurez appris parfaitement de nous les phénomènes d'en haut, la nature des oiseaux, la genèse des dieux et des fleuves, de l'Érèbe et du Chaos, votre science parfaite vous permettra de dire adieu de ma part à Prodicos pour le reste.
Le Chaos, la Nuit, le noir Érèbe et le vaste Tartare existaient au commencement: il n'y avait ni terre, ni air, ni ciel. Dans le sein infini de l'Érèbe, la Nuit aux ailes noires enfante d'abord un œuf sans germe, d'où, après des révolutions d'années, naquit le gracieux Éros au dos brillant de deux ailes d'or, semblable aux tourbillons roulés par le vent. Eros, uni au Chaos ailé et ténébreux, dans le vaste Tartare, engendra notre race, et la produisit tout d'abord à la lumière. Ainsi, à l'origine, la race des immortels n'existait pas encore, avant qu'Éros eût tout uni. Les éléments une fois unis les uns aux autres, parut le Ciel, l'Océan, la Terre et les dieux bienheureux, race éternelle. Voilà comment nous sommes les plus anciens de tous les bienheureux: que nous sommes fils d'Éros, mille preuves l'attestent. Nous avons des ailes et nous sommes avec ceux qui aiment. (...) Les mortels, c'est de nous, oiseaux, qu'ils reçoivent les plus grands services. D'abord nous leur indiquons les saisons, printemps, hiver, automne : semer, lorsque la grue, sonnant de la trompette, émigre vers la Libye et avertit le nocher de suspendre le gouvernail et de dormir ; elle conseille à Oreste de se tisser un manteau, afin qu'il n'aille pas, parce qu'il grelotte, dépouiller autrui. Le milan, à son tour, par sa venue, annonce une autre saison, c'est-à-dire le moment de tondre la toison printanière des brebis; puis l'hirondelle, quand il faut vendre le manteau et acheter un vêtement de toile. Nous sommes pour vous Ammon, Delphes, Dodone, Phébus Apollon. Vous commencez par aller vers les oiseaux pour régler toutes choses, commerce, vivres, choix d'un époux; vous regardez comme oiseau tout ce qui sert à la divination: une parole est pour vous un oiseau ; un éternuement, vous l'appelez oiseau ; une rencontre, oiseau ; une voix, oiseau ; un esclave, oiseau ; un âne, oiseau. N'est-il pas évident que nous sommes pour vous un prophétique Apollon?
Si donc vous nous croyez des dieux, vous pouvez user de nous comme de Muses prophétiques, brises, saisons, hiver, été, moyenne chaleur: nous n'irons pas nous asseoir là-haut majestueusement, au milieu des nuages, comme Zeus; mais, présents, nous vous donnerons à vous-mêmes, à vos enfants et aux enfants de vos enfants, richesse, bonheur, santé, paix, jeunesse, rire, chœurs de danse, festins, et le lait des oiseaux : si bien que vous serez écrasés sous les biens, tant vous serez riches tous.
(...)
Si quelqu'un de vous, spectateurs, désire mener désormais une vie agréable avec les oiseaux, qu'il vienne vers nous. En effet, ce qui est ici honteux ou interdit par la loi, tout cela est beau chez nous autres oiseaux. (...)
Rien n'est meilleur ni plus agréable que d'avoir des ailes.