Les faits ordinaires sont alignés dans le temps, enfilés sur son cours comme des perles. Ils ont leurs antécédents et leurs conséquences, qui se poussent en foule, se talonnent sans cesse et sans intervalle. Mais que faire des événements qui n'ont pas leur place définie dans le temps, des événements arrivés trop tard, au moment où le temps avait déjà été attribué, partagé, pris, et qui restent sur le carreau, non rangés, suspendus en l'air, sans abri, égarés ? Le temps serait-il trop exigu pour contenir tout ce qui se passe ? Peut-il arriver que toutes les places du temps soient prises ? Préoccupés, nous courons le long de tout ce train d'événements, nous apprêtant au voyage. Pour l'amour du ciel, est-ce possible qu'il n'y ait pas ici de vente de billets pour le temps ?...Monsieur le contrôleur ! Du calme ! Pas de panique, nous règlerons cela sans bruit, par nos propres moyens. Le lecteur a-t-il jamais entendu parler des voies parallèles du temps ? Oui, il existe de telles voies marginales, un peu illégales il est vrai, mais quand on transporte une contrebande du genre de celle que nous transportons, un fait supplémentaire inclassable, on n'a pas à faire la fine bouche. |
Essayons donc de dégager à un certain point de l'histoire une voie sans issue, un cul-de-sac, afin d'y pousser cette histoire illicite. Surtout, ne craignez rien. L'opération sera imperceptible, le lecteur n'éprouvera aucun choc. Peut-être même qu'au moment où nous en parlons la manœuvre est déjà accomplie et que nous avançons sur la voie parallèle ?
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...la voiture pénétra pesamment dans l'automne.
Nous entrâmes dans la monotonie, la langueur fanée de la plaine, dans un infini de fadeur douceâtre. Un semblant d'éternité, immense et attardée, levait, de ces lointains mornes, un mirage ayant pour toute haleine le vent décoloré qui soufflait sur l'ocre fané de l'horizon. De plus en plus pâles, de plus en plus énervées, sans force, les pages jaunies du paysage tournaient comme un roman vieilli, prêtes à se dissoudre en un immense vide éventé. Dans ce néant évanoui, ce nirvana jaune, nous aurions pu aboutir au-delà de toute réalité, hors du temps, et rester à jamais en plein paysage, au milieu des courants d'air stériles et tièdes -patache immobile haut perchée sur roues, prise aux nuages du parchemin céleste, gravure désuète, estampe oubliée dans un vieil in-folio décousu - lorsque notre cocher, par un dernier sursaut, secoua les rênes et, tirant la guimbarde hors de la douce léthargie des vents, tourna brusquement droit vers la forêt.
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