Tu continues de lire avec la même boulimie. Mais parfois, la saturation se fait sentir, et l'avidité laisse place au dégoût des livres, des mots, de la plage blanche.
Des mois d'une douloureuse aridité. De jour comme de nuit, de sombres errances par les rues désertes de la ville. Mais tu sais qu'on ne peut se fuir. Tu marches à grands pas, absorbé en toi-même, dialoguant avec tes questions. Rien ne t'intéresse que la poursuite de cela qu'il t'est rigoureusement impossible de définir.
Ce que tu voudrais exprimer, tu ne parviens pas à le tirer hors de la nuit. Trois obstacles te barrent le chemin de l'écriture.
La violence de tes émotions. Dès que le souvenir que tu en as gardé les ressuscite, le flot se libère, ton esprit se brouille, ton langage se désarticule, les mots eux-mêmes restent enlisés dans la gangue où ils dorment, et c'est comme une main qui se ferme sur ta gorge. Si tu voulais à toute force donner une idée de ton état, il te faudrait bégayer, te mettre à geindre.
Ton trop grand désir de bien faire. Comparée à tes moyens, une exigence beaucoup trop haute. Tous ces textes morts- nés, parce que, avant même d'en consigner le premier mot, tu étais convaincu qu'ils seraient par trop inférieurs à ce que tu aurais voulu réaliser.
L'admiration passionnée que tu portes à ces écrivains qui t'ont subjugué, parfois aidé à trouver ta voie. Que dire après eux ? Qu'ajouter à ce qu'ils ont su si bien exprimer ? Chacune de leurs pages t'a renvoyé à ta médiocrité. T'abstenir d'écrire serait une manière de leur rendre hommage.
Ta voix écrasée.
Tu voudrais abandonner. Mais un besoin te possède. Il est si impérieux que tu te sens impuissant à le combattre. Tu ne peux ni écrire ni renoncer à l'écriture. Une situation proprement infernale.
Les lentes et sombres années à espérer que les mâchoires de la tenaille finiront un jour par se desserrer.
Simplement attendre. Endurer le temps. Te laisser laminer par le doute.