La Chine rurale en sait long sur la fécondité. De tout elle fait fructification, montée somptueuse des sèves. Elle semble s'obséder d'un arbre robuste autant que d'une pousse gracile. Je vois une sorte de ballet, séminal, glandulaire et grouillant. Sous la lenteur des mouvements, je devine l'exubérance obscure, ce qui va exister étant déjà fébrilité de naître, quelque chose comme un devancement victorieux, quoique discret, de la mort. Ce panthéisme-là force le respect. Mais je pense à une autre culture, à d'autres sillons, d'autres défrichements, les mots dans leur fureur de croître et de multiplier, de s'élever du néant à la profération, ce champ hirsute qui est le mien, irrigué d'encre, saccagé et lyrique, et parfois si tendrement ondulatoire, comme apaisé.
Ce matin encore je déposai dans a page une graine de sens, ou y enfonçai au hasard un plant de ce même sens, mais quel rythme maturatoire fait qu'en ce moment, cette graine, ce plant débordent ladite page d'une profusion de sens méconnaissables comme tels, d'une explosive diversité, à cette question je ne puis répondre, dussé-je, pour m'y essayer, prendre conseil auprès d'un mandarin doublé d'un linguiste et triplé d'un cultivateur.
Je prends le sacré, non le surnaturel, là où je le trouve, même fugitivement. La poigne indicible de l'écriture, avec ses rites, ses pompes, ses radieux dévergondements, c'est ce qui me restera de sacré lorsque j'aurai atteint le fond du dégoût de tout. A observer la campagne chinoise, j'éprouve quelque ferveur, énigmatique, à la célébrer. Ces scènes de la vie paysanne, me dis-je, ne seraient pas ce qu'elles sont, une pure merveille, sans la grâce qui leur est donnée de porter mon regard au-delà de leur quotidienneté. Certes, ma vision est profane, mais elle se danse comme un ravissement. Je refuse d'admettre que cette œuvre soit seulement utilitaire, une routine à l'usage d'un milliard de bouches. Ce qui s'offre à mon regard, c'est bel et bien une réalité habitée. Habitée non seulement par la vaillance, la rudesse et la sensualité des hommes, mais par un principe de transfiguration, la survivance frémissante, haletante, de je ne sais quelle pulsion des premiers âges, celle sans doute qui déjà alors se brûlait aux bûchers du désir pour gagner l'immortalité.