Puis elle me demande : "Et que fait Adam lorsqu'il n'est pas en train d'escalader les murs? " Je lui réponds: "Je lis." On parle souvent de l'enchantement des livres. On ne dit pas assez qu'il est double. Il y a l'enchantement de les lire, et il y a celui d'en parler. Tout le charme d'un Borges, c'est qu'on lit les histoires contées tout en rêvant d'autres livres encore, inventés, rêvés, fantasmagoriques. Et l'on a, l'espace de quelques pages, les deux enchantements à la fois. Souvent, dans ma vie, j'ai pu éprouver cette vertu des livres. Mais c'est ce jour- là que je l'ai découverte. Tu es avec une étrangère, elle te demande ce que tu es en train de lire, ou bien c'est toi qui le lui demandes, et si vous appartenez l'un et l'autre à l'univers de ceux qui lisent, vous êtes déjà sur le point d'entrer, la main dans la main, dans un paradis partagé. Un livre appelant l'autre, vous connaîtrez ensemble des exploits, des émotions, des mythes, des idées, des styles, des espérances. En réponse à mon "Je lis !", la dame qui me retenait chez elle ne m'a pas vaguement demandé ce que je lisais d'ordinaire, question sans conséquence, mais dans quel livre j'étais plongé ce jour- là. (...) Nous n'avions pas tout à fait les mêmes lectures, mais elle a pris le temps de m'interroger sur mon livre, elle m'a longuement parlé du sien, et nous avons découvert entre ces œuvres certaines similitudes. Puis elle m'a suggéré que nous fassions un échange quand nous aurions fini. Dorénavant, chaque fois que je choisissais un livre, je pensais d'abord à elle. (...) Je voulais l'épater, ou tout du moins mériter son estime. Pour cela, il fallait que je lui fasse découvrir des livres qu'elle ne connaissait pas. Je ne sais si je lui ai appris grand- chose; en revanche, j'ai énormément appris grâce à elle. |