....La véritable essence des choses n'est pas visible à l'œil. Il y eut un long silence. - Nos organes sensoriels, reprit-il, adorent nous égarer et les yeux sont les plus trompeurs de tous. Nous avons bien trop confiance en eux. Nous croyons voir le monde qui nous entoure et pourtant nous n'en percevons que la surface. Il nous faut apprendre à deviner la vraie nature des choses, leur substance, et, à cet égard, les yeux sont plus un obstacle qu'une aide. Ils sont source de distraction. Nous adorons nous laisser éblouir. Un individu qui se repose trop sur sa vue néglige les autres sens - et je ne parle pas que de son ouïe et de son odorat. Je parle de cet organe que nous avons en nous et qui n'a pas de nom. Appelons-le la boussole du cœur. Le moine lui tendit les mains et Tin Win fut surpris de les trouver si chaudes. - Un homme qui ne voit pas doit être attentif, lui expliqua U May. C'est plus facile à dire qu'à faire. Il faut être à l'affut du moindre geste, du plus petit souffle. Dès que je me disperse, dès que je laisse mon esprit vagabonder, mes sens m'égarent. Ils me jouent des tours comme des enfants mal élevés qui cherchent à se faire remarquer. Quand je suis impatient, par exemple, je veux que tout arrive plus vite. Mes mouvements deviennent hâtifs. Je renverse le thé ou mon bol de soupe. Je n'entends pas bien ce que disent les autres parce que je suis déjà perdu dans mes pensées. Ou lorsque la colère est prête à me submerger. Une fois, je me suis fâché contre un jeune moine, et, peu après j'ai foncé dans l'âtre de la cuisine. Je n'avais pas entendu le crépitement du feu; je ne l'avais pas senti. La colère avait brouillé mes sens. Les yeux et les oreilles ne sont pas le problème, Tin Win. C'est la rage qui nous aveugle et qui nous rend sourds. Ou la peur. L'envie, la méfiance. Le monde rétrécit, se détraque dès qu'on a peur ou qu'on est en colère. C'est vrai pour nous comme pour ceux qui voient de leurs yeux. Sauf qu'eux, ils ne remarquent rien. Sois patient. |