-Mes souvenirs, docteur, s'effaceront tous au bout de quelques mois ?
-J'en ai bien peur, jeune homme.
-Mais comment peut-on vivre sans souvenirs ?
-Difficile question que celle-ci. Rassurez-vous j'ai quelques pistes...
-Lesquelles ?
-Il va falloir aider votre cerveau à sélectionner vos souvenirs. Il faut que vous associiez un moment à un objet, à défaut de rattacher l'instant à une émotion. En vous souvenant de cette chose, vous retrouverez la mémoire de l'instant. Une sorte d'association d'idées.
-Je ne comprends pas.
-Il faut que vous remplaciez cette pellicule photosensible des émotions qui vous manque. Elle ne fonctionne plus. Substituez-lui une association qui utilise un sens : l'ouïe, l'odorat, le toucher...Les aveugles, par exemple, développent un sens de l'odorat suffisamment puissant pour fixer un souvenir en fonction d'une odeur.
-Ca marche vraiment comme ça ?
-Je vais vous donner un cas, un patient que j'eus voilà quelques années. Il est mort maintenant, mais ne vous inquiétez pas, la cause de son décès n'a rien à voir avec nos affaires : des rats-taupes ayant envahi son champ, il avait en représailles décidé de les cuisiner. Il fut empoisonné par la quantité de plomb que ces bestioles ingèrent. Bref, cet homme souffrait grosso modo du même syndrome que vous. Il luttait contre l'amnésie en ramassant des petits bouts de bois. Il en avait une sacrée collection, de l'érable, du noisetier, du chêne, tous de longueur et de formes différentes : chaque bout était associé à un souvenir auquel il tenait. Efficace.
C'est ainsi que Florin commença à ramasser un caillou chaque fois qu'il voulait se souvenir d'un moment.