Il but son café à petites gorgées, attentif au chemin que parcourait le liquide. Il s'efforça d'en imaginer un effet bienfaisant, y parvint à moitié. Il posa la tasse dans l'évier et, s'asseyant à la table du séjour, s'empara de la boîte rectangulaire.
Derrière la cabane, plusieurs pins saluaient de leurs bras élancés. La patience verticale des troncs, les planches parallèles, les ondulations du lac et les sentiers entretenaient une discussion d'une géométrie ensorcelante. Les rais de lumière répartissaient les ombres équitablement.
Demetrio contempla le trou en haut, à gauche: on eût dit une morsure de Dieu. Il plongea la main dans la boîte et déversa une poignée de pièces sur la table. Il pressa ses yeux avec le majeur, l'index et le pouce, puis les relâcha peu à peu, sans les ouvrir. Il voyait encore la cabane, les sentiers qui se confondaient avec le lac, fragments luminescents sous ses paupières. Il observa encore le paysage. Il prit une pièce au hasard, jaugea sa couleur et l'essaya : elle s'emboîtait. Parfait, parfait. Il approchait du but. Il recommença avec une autre, en vain. Il se leva et retourna à la fenêtre. Pas âme qui vive dans les rues. C'était bizarre d'habiter à Chacarita. La nuit s'y abattait de tout son poids, étrangement silencieuse après une journée entière d'allées et venues, d'autobus, de brouhaha, de magasins ouverts, de marchands de pralines au coin des rues, le tout si différent d'autrefois. Autrefois, il y a bien longtemps, il avait vécu à Lanús, une ville où les voisins étaient complices ou à défaut des ennemis; un endroit où chaque chien pouvait être identifié, où les rues étaient un prétexte pour que les enfants s'y éparpillent. A Lanús, quasiment personne n'avait les moyens de repeindre sa maison ni de partir en vacances au bord de la mer - c'est chouette, la mer- , ni même de s'acheter les vêtements adéquats pour partir à la conquête du monde. Il y a encore plus longtemps, il avait vécu dans un endroit encore plus reculé, beaucoup plus distant de la capitale et de ses turbulences : là où les choses poussaient dans l'allégresse et vieillissaient calmement. Demetrio avait connu l'allégresse. Appris à nager dans le lac Nahuel Huapi, appris à ne pas se geler dans le lac Nahuel Huapi, connu le silence du lac Nahuel Huapi, fréquenté une petite école en briques près de Llao Llao, joué au ballon n'importe où. Les forêts d'arrayanes y étaient uniques et le chocolat y avait un goût lointain de l'Europe enneigée.
Il détacha ses yeux de la rue pour contempler, debout, le paysage de la cabane. Il hocha la tête. En s'étirant, il sentit un picotement réconfortant et une soudaine impression de lucidité, comme si on avait accéléré ses heures. Il retourna à sa table : il manquait toujours la plus grosse partie du ciel.