Amazone, Maxence Fermine

Le portrait d'un fou...

Car le colonel était de la race des fous la plus superbe: celle que l'on ne devine pas. Celle qui oscille savamment entre instants de lumière et moments d'égarement, sans jamais savoir à quel port se fixer. Eût- il été fou à lier qu'on eût pu le plaindre, ou s'en méfier plus aisément. Mais non, cet homme était aux frontières de tout cela. Sa déraison s'exprimait par des signes aussi étranges que latents, des colères aussi violentes que brèves, alternant louanges  et menaces, sourires et grimaces, gestes d'amitié et de trahison, avec un art si subtil qu'il était pratiquement impossible de se rendre compte de l'étendue du mal qui le rongeait avant de l'avoir de l'avoir côtoyé de longs mois. De prime abord, il paraissait aussi sain d'esprit que n'importe quel autre aventurier échoué en Amazonie. Plein d'ardeur, de courage et de détermination, solide comme un roc, imperturbable et fier, sans morale et prêt à tout pour faire fortune. Jusque- là, rien de bien original dans ces contrées oubliées. Le lot de tout chercheur d'or. Mais après l'avoir observé plus longuement, il devenait facile de déceler le mal qui l'habitait. Hyperactif, ne dormant presque jamais, expédiant ses repas en trois ou quatre minutes, continuellement sur le qui- vive et le pied de guerre, Rodrigues montrait tous les signes de la plus extrême paranoïa.
Il ne vivait pas, mais survivait, persuadé qu'on en voulait à son argent ou à sa vie. Il harcelait ses employés, hurlait après ses chefs d'équipe, injuriait ses maîtresses et vomissait ses associés. Comme si toute la terre lui en voulait et cherchait à lui nuire.
Un homme rongé par le fiel insidieux que son âme distillait depuis de nombreuses années. Le poison de la folie.

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