Quand les poètes chantaient les arbres du Nord, je croyais qu'ils le faisaient exprès. Ces arbres nus, sans famille, lisses, abandonnés, troncs hauts, et branches qui n'offrent aucune ouverture, (je songe surtout à vous, ô hêtres, que j'ai tant maudits, qu'on me voulait faire admirer, qui portez vers le haut le subit rire malin de toutes vos petites feuilles, qui ne veut rien dire), on ne vous réclame pas, vous tous que j'ai haïs.
Ici, il y a pour moi.
Arbres des tropiques, à l'air un peu naïf, un peu bête, à grandes feuilles, mes arbres!
La forêt tropicale est immense et mouvementée, très humaine, haute, tragique, pleine de retours vers la terre. Les parasites veulent bien s'élever. Ils choisissent un arbre, mais après avoir pris quelque hauteur, les voici tous qui bêlent et reserpentent vers la terre.
Très habitée, la forêt, riche en morts et en vivants !
La forêt n'enterre pas ses cadavres; quand un arbre meurt et tombe, ils sont tous tout autour, serrés et durs pour le soutenir, et le soutiennent jour et nuit. Les morts s'appuient ainsi jusqu'à ce qu'ils soient pourris. Alors suffit un perroquet qui se pose, et comme ils tombent avec un immense fracas, comme s'ils tenaient encore follement à la vie, avec un arrachement indescriptible.
C'est ainsi qu'il y a beaucoup de morts dans la forêt autant que de vivants et qu'on n'avance qu'avec la machete. Il faut mettre en morceaux les morts pour passer. Il y a aussi tous les parasites qui retournent à la terre. Ceux qui sont près d'arriver, il faut les couper. La machete coupe et casse dans toutes les directions, en haut, en bas, sur les côtés, et ce qu'elle a abattu il faut encore le mettre en plusieurs morceaux, un à droite, l'autre à gauche. On passe sur celui du milieu, une fois qu'il est à plat, ou suffisamment bas pour être enjambé.
L'arbre ici ne craint pas d'adopter une grande famille, et mène grand train. Il porte sur lui des orchidées et plus de cinquante lianes l'embrassent à la vie à la mort. Ses branches largement occupées et à pendentifs, habitées comme au moyen âge les ponts, ont de loin la douceur, le velours des chenilles, et l'apparence sage et réfléchie que donnent les barbes.