Dans ce théâtre d'une prodigieuse variété nous trouvons un Oreste s'écriant au comble de la déréliction :
"Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance !",
un Hippolyte :
"Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur",
une Bérénice:
"Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?"
Il faudrait citer tous les vers que prononce Hermione, cette amoureuse qui au cours de la pièce voit celui qu'elle idolâtre changer trois fois de suite d'attitude et de décision, et surtout Phèdre, criminelle malgré elle, traquée par un destin qui ne lui laisse aucun espoir de salut, belle âme à laquelle la grâce a manqué.
La Renaissance avait eu de grands dramaturges : Jodelle, Garnier, mais leurs pièces tenaient plus de la déploration lyrique que de l'étude des caractères et des progrès dans l'action. Ce sont Corneille et Racine qui ont compris que tout se résume au conflit de la passion, ou de la passion du devoir. Corneille opte pour la première, Racine pour la seconde. Il arrive même à rendre touchants certains de ses grands criminels, Phèdre bien sûr, mais aussi dans une certaine mesure Mithridate et Clytemnestre. Ils sont tentés, mais ne succombent qu'une fois : leur "chute" (on dit en français tomber dans le péché ou le crime) ne se reproduit pas. Il est vrai que Phèdre s'empoisonne et que Clytemnestre est tuée par son fils.
Racine se servait de la fable, des mythes et de l'œuvre des trois grands tragiques grecs, d'Euripide plus souvent que de Sophocle ou d'Eschyle, afin de justifier son entreprise de dénombrement de toutes les passions humaines. Il fait des peintures d'âmes là où les tragiques grecs exposent des faits légendaires et la fatalité voulue par les dieux. Mais chez les Grecs comme chez Corneille et Racine, ce qui importe surtout c'est l'inquiétude morale et religieuse. Au XVIIè siècle elle opposa les Jansénistes et les Jésuites. A d'autres époques elle se manifeste sous d'autres formes.