Donc pas de conversation, mais communication par l'écriture. Gracq a beaucoup écrit, beaucoup publié. Cela permet à chacun d'entre nous, si nous le souhaitons, de pénétrer sa pensée, d'entrer en communication avec lui. Il propose, il n'impose pas. A nous de montrer de la curiosité, des dispositions favorables à l'accueil, à l'adhésion. Il ne cherche pas à discuter, à séduire, à nous de dire oui ou non à ce qu'il propose.
Il n'a rien d'un prophète, d'un confesseur de la foi, d'un saint Paul ou d'un saint Augustin. Il dit ce qu'il pense, ce qu'il sait avec, bien sûr, le désir de convaincre et de séduire. Mais son besoin de communication n'a rien à voir avec la volonté de puissance que l'on trouve chez Nietzsche ou chez le grand pontife de la religion surréaliste, André Breton. Breton lançait ses oukases à la manière des bulles pontificales, il était le seul à savoir pourquoi tel écrivain, tel peintre, tel objet ou telle fleur était surréaliste ou non, donc le seul à donner l'investiture, à officier lors de l'adoubement.
Si Gracq n'avait rien du Grand Inquisiteur André Breton, il ne ressemblait pas davantage à Paul Valéry qui plaçait une cloison étanche entre sa vie de poète et sa vie privée. Qui s'amusait même à surprendre ses auditeurs en tenant des propos provocants qu'on n'attendait pas de l'auteur du Cimetière marin.
Dans ses entretiens avec Jean d'Ormesson, Emmanuel Berl dit qu'un jour Valéry l'a quitté de la façon suivante :" Bonsoir, mon cher ami, j'vas piquer un roupillon."
Julien Gracq, bien que mort, reste avec nous puisque son truchement était le livre, moyen de conversation idéal qui ne varie ni ne déçoit. Il est à portée de main, au chevet du lit ou dans la bibliothèque, toujours prêt à répondre à notre curiosité, notre angoisse ou notre plaisir.