C'était la noire misère parisienne attifée de son mensonge, l'odieux bric-à-brac d'une ancienne ancienne d'ouvriers bourgeois lentement démeublés par la noce et les fringales.
D'abord un grand lit napoléonien qui avait pu être beau en 1810, mais dont les cuivres dédorés depuis les Cent-Jours, le vernis absent, les roulettes percluses, les pieds eux-mêmes lamentablement rapiécés et les éraflures sans nombre attestaient la décrépitude.
Cette couche sans délices, à peine garnie d'un matelas équivoque et d'une paire de draps sales inhabilement dissimulés sous une courte-pointe gélatineuse, avait dû crever sous elle trois générations de déménageurs.
Dans l'ombre de ce monument, qui remplissait le tiers de la mansarde, s'apercevait un autre matelas moucheté par les punaises et noir de crasse, étalé simplement sur le carreau.
De l'autre côté, un vieux voltaire, qu'on pouvait croire échappé au sac d'une ville, laissait émigrer ses entrailles de varech et de fil de fer, malgré l'hypocrisie presque aimable d'une loque de tapisserie d'enfant.
Auprès de ce meuble, que tous les fripiers avaient refusé d'acquérir, apparaissait, surmontée de son pot à eau et de sa cuvette, une de ces tables minuscules de crapuleux garnos qui font penser au Jugement dernier.
Enfin, au-devant de l'unique fenêtre, une autre table ronde en noyer, sans luxe ni équilibre, que le frottement le plus assidu n'aurait pas fait resplendir, et trois chaises de paille, dont deux presque entièrement défoncées.
Le linge, s'il en restait, devait se fourrer dans une vieille malle poilue et cadenassée sur laquelle s'asseyaient parfois les visiteurs.
Tel était le mobilier, assez semblable à beaucoup d'autres, dans cette joyeuse capitale de la bamboche et du désarroi.
Mais ce qu'il y avait de particulier et d'atroce, c'était la prétention de dignité fière et de distinction que l'habitante du lieu, madame Demandon, avait répandue, comme une pommade, sur la moisissure de cet effroyable taudis.
La cheminée sans feu ni cendres eût pu être mélancolique, malgré sa hideur, sans le grotesque encombrement de souvenirs et de bibelots infâmes qui la surchargeaient.
On y remarquait de petits globes cylindriques protégeant de petits bouquets de fleurs desséchées; un autre petit globe sphérique monté sur une rocaille en béton conchylifère, où le spectateur voyait flotter un paysage de la Suisse allemande; un assortiment de ces coquillages univalves dans lesquels une oreille poétique peut aisément percevoir le murmure lointain des flots; et deux de ces tendres bergers de Florian, mâle et femelle, en porcelaine coloriée, cuits pour la multitude, on ne sait dans quelles manufactures d'ignominie.
A côté de ces oeuvres d'art se nichaient des images de dévotion, des colombes qui buvaient dans des calices d'or, des anges portant à brassées le "froment des élus", des premiers communiants très frisés tenant des cierges dans du papier à dentelle, puis deux ou trois questions du jour : "où est le chat?" "où est le garde-champêtre?" inexplicablement encadrées.
Enfin des photographies d'ouvriers, des militaires ou de négociants. Le nombre était incroyable de ces effigies qui montaient en pyramide jusqu'au plafond.
Çà et là, le long des murs, dans les intervalles des guenilles, quelques effrayantes chromolithographies, achetées aux foires ou délivrées par les magasins de confection, étaient appendues. La sentimentale Demandon raffolait de ces horreurs.
Cette gueuse minaudière était une des plus décourageantes incarnations de l'idiote vanité des femmes, et la carie de cet "os surnuméraire", suivant l'expression de Bossuet, aurait fait reculer la peste.